Marcel et Joachim, c’est le nom d’une maison d’édition indépendante, spécialisée dans la petite enfance, pour laquelle j’ai eu un véritable coup de coeur lorsque je suis tombée sur les ouvrages de l’illustratrice Ingela P. Arrhenius. Le coup de coeur s’est confirmé à la lecture du catalogue. J’ai contacté Charlotte Duverne pour en savoir plus et je la remercie d’avoir accepté mon invitation. Charlotte m’a raconté son parcours et l’histoire de la création de Marcel et Joachim, m’a présenté les (superbes) ouvrages déjà parus, les différentes collaborations avec auteurs et illustrateurs, m’a parlé de son travail d’éditrice et des belles choses encore à venir…

 

Chapeau melon et livres en cuir : Bonjour Charlotte. Comment définirais-tu Marcel et Joachim ?

Charlotte Duverne : Nous créons des livres qui plaisent autant aux enfants qu’aux parents, des livres toujours assez pop et graphiques, colorés, qui ne se prennent pas au sérieux – je ne pourrais jamais par exemple faire un album documentaire. Ce sont des livres assez légers, de beaux objets qui peuvent aussi décorer la chambre des enfants, qui ne rentrent pas forcement dans la bibliothèque mais peuvent être juste déposés devant.

Après, à chaque livre, ce sont des affinités, des rencontres affectives et personnelles fortes. Je ne pourrais pas travailler avec quelqu’un avec qui je ne m’entends pas bien.

 

CMCL : Quelle est l’histoire de Marcel et Joachim ?

CD : Avec mon associé Louis-Benoît, nous avons fondé Marcel et Joachim en 2013. Avant ça j’ai travaillé pendant 5 ans chez Gallimard Jeunesse, je faisais du marketing sur de la littérature ado et de la BD, pas trop la petite enfance. Mon premier fils est né en 2010, c’est à ce moment-là que je me suis intéressée à la petite enfance, et puis j’avais depuis longtemps l’idée de faire quelque chose avec la marque Petit Pan, qui fait plein d’objets pour les enfants, et notamment des tissus vifs, gais, très chouette. Quand je faisais des cadeaux de naissance, j’allais souvent chez eux. Quand je suis partie de chez Gallimard Jeunesse, j’ai un peu bossé en freelance et puis j’ai contacté Petit Pan en leur disant que j’aurais bien aimé faire un livre avec leurs tissus. Ça a donné le premier livre publié chez Marcel et Joachim : L’imagier. Tous les tissus ont été scannés par Delphine Chedru, l’illustratrice, qui s’en est ensuite servie comme d’une palette de couleurs. C’est avec ce projet et les premières maquettes que j’ai trouvé un diffuseur, le nerf de la guerre. Je ne voulais pas du tout me lancer en auto-diffusion. Le livre a eu beaucoup de succès, ça nous a vraiment permis de démarrer. Depuis 2015, on fait paraître 13 à 14 titres par an.

 

CMLC : Connaissais-tu déjà Delphine Chedru ?

CD : Pas du tout. Je cherchais quelqu’un qui soit partant pour collaborer avec une toute petite maison d’édition, pas encore formée, et dont la technique pouvait bien coller avec cette idée que j’avais de travailler avec des tissus et des aplats de couleurs. J’aimais beaucoup le travail de Delphine et il correspondait bien à cela. Et puis pour la suite, ça m’a aidé de collaborer avec quelqu’un ayant déjà une notoriété dans le secteur.
Après j’ai surtout travaillé avec des auteurs dont c’étaient les premiers livres.

 

CMLC : Comme Ingela P. Arrhenius ?

CD : Oui, elle n’avait jamais fait de livre en France, elle faisait surtout du design, des affiches, des objets. Quand j’ai commencé à travailler avec elle en 2014, ça a été le début de son travail d’illustratrice de livres pour enfants. C’était pour le livre Designimaux : je voulais faire un petit livre animé sur le design – il représente en effet 7 pièces du design très connues, inspirées d’objets de la nature et du quotidien. Je  ne savais pas du tout à qui demander de l’illustrer et un jour, en passant dans la chambre de mon fils, j’ai fait attention à une affiche que j’avais achetée au Danemark : elle représentait un lion un peu rétro, avec la signature « Ingela » en bas. C’était exactement le genre d’illustrations que je voulais ! Sans grand espoir (j’étais persuadée que l’illustrateur était mort, comme c’était assez rétro), je tape alors « lion + Ingela + affiche » sur Google et je découvre qu’en fait il s’agit d’une Suédoise de 45 ans, bien en vie ! Je lui écris un mail et elle me répond qu’elle vient à Paris un mois plus tard ! On s’est donc vues à ce moment-là et c’est comme ça que notre collaboration a démarré.
Avec Ingela P Arrhenius, on a fait la baby box : une boîte qui comporte 4 petits livres accordéon (leporello) sur les formes, les couleurs, et un mobile. On va la ressortir à la fin de l’année avec une nouvelle couverture. On a aussi fait les grands livres : Animaux, best-seller maintenant, et La Ville.

Et en septembre dernier on a lancé la collection de petits livres cartonnés prédécoupés. Il y en a déjà 6 et on en sort 2 à la rentrée (A la montagne et En voyage). On a sorti une version de poche, leporello d’Animaux. On va aussi faire un calendrier, toujours avec Ingela.
On a eu de la chance de commencer avec des titres qui ont bien marché, ça nous a permis de continuer. Les livres d’Ingela par exemple sont produits dans 12 pays (Italie, Chine, Allemagne…).

 

CMCL : Avez-vous d’autres collaborations régulières ?

CD : Oui il y a d’abord l’Atelier Saje. Ce sont deux filles, Emma Giuliani, par ailleurs publiée aux éditions Les Grandes Personnes, et Ariane Grenet. Elles sont spécialisées dans le graphisme mais aussi le paper design. Je travaille beaucoup avec elles. On a fait plusieurs albums ensemble. Il y a d’abord Les Robes de la Reine : c’est l’histoire d’une reine qui est enfermée et qui, pour s’occuper, coud toutes les nuits une robe différente. Le livre comporte des animations papier. Je ne suis pas très fan du pop-up, je préfère les choses discrètes, comme ici, avec des petits volumes.

On a sorti l’année dernière le premier album d’un personnage qu’on est en train de développer : Oncle Teddy, pour les tout-petits, sans texte.

Et on s’apprête à sortir un livre miroir, pour les tout-petits.

 

 

Ensuite on a la collection « Les Maisons de Léon » par Loréa De Vos. J’aime bien quand on a de la fabrication un peu compliquée (sourires). La maison se construit au fil des pages. Là, Léon cherche son doudou, celui-ci c’est dans l’école, et dans celui-là, c’est la rencontre avec le petit frère ou la petite sœur à la maternité. On va sortir à la rentrée un grand format, dans un immeuble. Léon et sa cousine ont besoin de plein d’ingrédients pour faire des crêpes et ils vont voir tous les voisins. L’idée c’est d’aborder la diversité mais de manière légère.

Je collabore aussi avec Mathilde Cabanas. On a fait trois petits livres ensemble. J’avais connu Mathilde par ses mini-cartes – elle fait pas mal de papeterie. J’avais envie de rester proche de ce format, de garder un lien très fort avec tout ça, sa façon d’illustrer avec une grande économie de moyens, presque métonymique… C’est donc pour cela qu’on a développé cette collection. On est hyper attentifs à la qualité du papier pour rester dans un objet assez précieux, et on travaille uniquement en tons pantone, ce qui permet d’avoir un rendu couleurs assez frais. Et toujours avec ce système d’illustrations rigolotes.

 

CMCL : Mathilde Cabanas semble à part en termes de technique ?

CD : En fait on a vraiment deux lignes. Une avec des illustrateurs qui travaillent à l’ordinateur et l’autre avec Camille de Cussac, Mélodie Baschet… : des illustrateurs qui travaillent avec les techniques traditionnelles. On a aussi fait un livre photo avec Flora (Gressard, la directrice artistique, NDLR), qui s’appelle Une belle journée. Les livres photos, c’est quelque chose de très compliqué dans le monde des livres pour enfants : les gens n’y sont pas du tout, du tout habitués.

On travaille aussi pas mal avec Camille de Cussac : on a réalisé avec elle une série de contes classiques revisités avec les accents. Par exemple il y a le Petit Chaperon belge avec un livre et un CD, dans lequel l’histoire est lue par un comédien, Charlie Dupont. C’est pour les enfants à partir de 5 ans, pour découvrir d’autres façons de parler français. On a aussi Barbe-Blue le maudit québécois. On a un autre projet, à la rentrée, avec Camille et un autre auteur. Et il y aura un 3e livre-CD, l’année prochaine, sur le créole. Elle travaille au feutre et posca (des marqueurs qui ont un rendu très dense). Je l’ai rencontrée alors qu’elle était encore à l’école et la trilogie des accents était son projet de fin d’études.

Il y a aussi Mélodie Baschet avec qui on a fait deux livres. Elle est peintre et dingue de nature et d’animaux.  HIBOU raconte la naissance d’un bébé chat. Et Natcha, un joli conte initiatique qui a reçu un prix.

 

CMCL : As-tu d’autres collaborations ?

CD : Oui, alors pour coller à l’actualité, je vais d’abord te parler d’Elsa Fouquier avec qui on a fait Le Toboggan et qui vient de paraître : c’est un petit livre très chouette sur les contraires, avec un toboggan délirant. J’aime beaucoup son dessin, à la fois super accessible et très mignon.

Elsa avait déjà illustré Tournée !, une encyclopédie musicale illustrée pour les enfants à partir de 5 ans, un voyage dans le temps et l’espace à la rencontre de plusieurs groupes et styles de musique.

En fin d’année dernière, on a sorti un livre un peu dingue avec Airnadette : Du rock dans ton salon. C’est une air-comédie musicale pour les enfants. Dans ce livre-CD, il y a tout pour que les enfants montent le spectacle chez eux. Il n’y a besoin de rien à part un tabouret et une brosse.  On l’a joué plusieurs fois en live et ça rend les enfants complétement fous car le playback c’est leur culture. Et ça les libère vraiment. C’est pas grave s’ils ne sont pas raccord avec le CD : le résultat est quand même génial, la musique est bien, ça permet aux enfants d’être juste dans l’énergie et de se lâcher complètement.

Au début du livre on présente les 7 personnages d’Airnadette, les enfants choisissent, et ensuite il y a toute la comédie musicale avec les indications de mise en scène, tous les textes, les paroles des chansons… Et à la fin, tous les conseils d’Airnadette pour jouer comme un pro.
C’est une comédie complètement inédite. On espère que ça va se jouer sur scène, avec une troupe de mini-Airnadette, normalement à la fin de l’année. Les livres étaient la première étape du projet et j’espère que le reste va prendre vie. On a fait plein d’ateliers autour de ce livre (des anniversaires animés par un membre d’Airnadette  où il faut monter une scène du spectacle puis il y a un petit spectacle à la fin…) etc… C’est très sympa car cela crée un lien avec le spectacle vivant.

 

CMCL : Où peut-on vous trouver ?

CD : A la commande, 90 % des librairies peuvent commander nos livres. On travaille aussi beaucoup avec des concepts-stores, des boutiques de jouets et déco pour enfants. Il y a beaucoup de nos livres qui sont à la frontière du livre et de l’objet. Ingela est connue pour ses affiches et ses objets de design, donc ces magasins-là l’ont par ailleurs. Dans ces boutiques où il n’y a pas beaucoup de livres, tu ressors et tu existes plus facilement. C’est un milieu tellement concurrentiel. Pour exister il faut avoir une offre assez différenciée, et essayer d’innover dans la distribution.

 

CMCL : Quels sont vos projets ?

CD : On va avoir une fin d’année chargée avec la sortie de huit livres, des auteurs-illustrateurs dont je t’ai parlé tout à l’heure. J’aime la fidélité dans le travail et le fait d’avoir des relations privilégiées, construire le catalogue ensemble.
On a aussi un projet avec une auteure Australienne : un livre d’empowerment et de pensées positives pour les petites filles à partir de 8 ans.
Il y a aussi de nouveaux auteurs qui entrent l’année prochaine. En fait, chaque année, il y a seulement 1 à 2 nouveaux auteurs qui entrent au catalogue, en raison de cette logique de petite production et parce que j’aime approfondir la relation avec les anciens auteurs, pouvoir les republier.

Et mon objectif personnel c’est de travailler plus en amont pour présenter des projets de maquettes aux foires et salons et trouver des co-éditeurs. Aujourd’hui j’y vais avec des livres déjà publiés et c’est moi qui supporte entièrement le premier tirage. Ca me permettrait de baisser de beaucoup le coût unitaire des impressions.

 

Un grand merci à Charlotte Duverne !