« Bien que Jonas ne fût qu’un cinq-ans l’année où ils avaient reçu Lily et appris son nom, il se rappelait l’excitation ambiante et les conversations à la maison anticipant son arrivée : de quoi aurait-elle l’air ? Comment serait-elle ? Comment s’intégrerait-elle dans leur cellule familiale » ?
De quoi s’agit-il ?
Le Passeur est un roman de l’Américaine Lois Lowry, paru en France en 1994 à L’école des Loisirs, dans la collection Médium. Il s’agit du premier tome d’une tétralogie qui comporte également L’Elue, Le Messager et Le Fils. Le Passeur est souvent présenté comme la première dystopie pour adolescents. De fait, il décrit un monde futur, « la communauté » où vit le héros Jonas, 12 ans, et dans lequel toutes les différences, toutes les émotions, les sentiments, ont été gommés, la liberté de choix abolie. Chaque « cellule familiale » est composée par le Conseil des Sages, veillant à une harmonie parfaite entre les membres. Chaque enfant est issu d’une mère porteuse, et attribué à une famille après réflexion de ce même Conseil. Les nouveaux-nés jugés inaptes et les personnes trop âgées sont « élargies », un terme que tout le monde connaît sans savoir vraiment ce qu’il recouvre. Tous les individus d’une même classe d’âge fêtent leur anniversaire en même temps au mois de décembre, au cours d’une cérémonie à laquelle assiste toute la communauté. Chaque nouvel âge correspond à une nouvelle étape : « les huit-ans » commencent leur bénévolat, « les neuf-ans » ont droit à un vélo, « les douze-ans » se voient attribuer un métier et débutent leur formation. Il ne le sait pas encore, mais lors de sa cérémonie de douze-ans, Jonas va être choisi pour exercer une fonction unique…
A qui s’adresse-t-il ?
L’enfant sera capable d’apprécier ce livre à partir de douze ans environ, l’âge du héros Jonas, dans lequel il pourra se reconnaître. En effet, Le Passeur traite avec finesse des sentiments contradictoires dont on peut faire l’expérience à cet âge : l’envie de sortir de l’enfance tout en ayant la nostalgie de cette période d’insouciance, le détachement vis-à-vis des parents auxquels on reste pourtant très attaché, l’excitation teintée d’incertitude quant à l’avenir, l’affirmation de ses goûts qui peuvent dans le même temps éloigner de ses amis d’enfance…
Et le personnage de Jonas est très attachant. Malgré son jeune âge, il se montre d’une étonnante maturité : il est réfléchi, posé, tout en possédant certains traits héroïques qui lui confèrent une énorme responsabilité. Enfin, le fait qu’il ait le souci du mot juste pour nommer ses émotions permet une discussion intéressante en famille ou à l’école sur le vocabulaire des sentiments.
Pourquoi faut-il l’avoir dans sa bibliothèque ?
Parce que ce roman est une vraie pépite ! Lois Lowry décrit de manière très progressive le monde dans lequel évolue Jonas. Dans les premières pages, c’est l’harmonie qui semble régner au sein de sa famille : chaque soir, on se raconte sa journée et les éventuels problèmes rencontrés, et chaque matin, on décrit ses rêves et on tente de les analyser. Mais petit à petit, le lecteur découvre avec effroi que le maître-mot au sein de cette communauté est « l’Identique », c’est cela qui est censé assurer l’ordre et la paix, loin, très loin de cet « Ailleurs » que l’on évoque avec crainte.
De plus, Le Passeur questionne, encore une fois de manière très fine, notre monde actuel en l’opposant à cette « communauté » dans laquelle rien n’est laissé au hasard, où tout est régi par des règles rationnelles censées assurer à ses membres un bien-être constant. En revanche, si la douleur est absente, le plaisir aussi, si les conflits ont disparu, les sentiments sincères aussi…
Bref, une lecture hautement recommandable, même aux adultes !
Rétroliens/Pings